" Ce n’est pas parce que je suis handicapée que je suis fragile "

Journaliste, médecin, humoriste, entrepreneure… Nous avons rencontré quatre femmes en situation de handicap pour mieux comprendre leur parcours et les obstacles qu’elles ont dû traverser. Quatre carrières au-delà des stéréotypes qui prouvent que l’émancipation des femmes se joue partout et que handicap et parcours professionnels peuvent aller de pair.

Qu'il soit moteur, psychique, mental, sensoriel, visible ou invisible, c’est un fait : le handicap concerne environ 12 millions de personnes en France dont plus de la moitié sont des femmes. 1,3 million d’entre elles ont une reconnaissance administrative de leur handicap, soit 6,4 % de l’ensemble des femmes en âge de travailler. Cependant, seules 4 femmes reconnues handicapées sur 10 sont « actives », en emploi ou au chômage. Subissant de plein fouet une double discrimination de genre et de handicap, les femmes en situation de handicap sont particulièrement touchées par les difficultés d’accès à l’emploi et à la formation. « Elles sont souvent considérées – encore plus que les femmes en général – comme plus sensibles et vulnérables, moins capables, moins rentables avec un risque d’absences plus élevé… » explique Carole Salères, Conseillère nationale emploi, travail, formation et ressources chez APF France Handicap. « Selon une enquête conduite par l’association en 2019, près de 50 % des femmes en situation de handicap ont le sentiment d’être ou d’avoir été discriminées dans l’accès ou le maintien dans l’emploi : inadaptation du poste, horaires non aménagés, “mauvaise image”, présomption d’incapacité, exclusion due à des problèmes de santé mais aussi sexisme, compétences sous-considérées, modes de garde très restreints voire inexistants... ». Les conséquences de ces discriminations sont sans appel : 46 % des femmes handicapées travaillent à temps partiel, souvent subi, et seulement 7 % des femmes handicapées occupent un poste de cadre.
Malgré ces difficultés, des femmes en situation de handicap parviennent à se faire une place dans la société et mieux encore, à s’émanciper par des voies professionnelles.(1)

« Le handicap ne m’a jamais empêché de faire ce que j’ai envie de faire. »

Anne-Alexandrine Briand, humoriste

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Anne-Alexandrine Briand

Lorsqu’à 24 ans un neurologue lui demande ce qu’elle veut faire dans la vie, Anne-Alexandrine Briand, qui souffre de problèmes d’élocution et de secousses musculaires incontrôlées dus à une dystonie myoclonique (2) diagnostiquée dans l’enfance, répond du tac au tac : avocate. Pourquoi choisir cette voie difficile dans sa situation s’étonne alors ce dernier ? Parce qu’elle en a envie, tout simplement ! Et la sclérose en plaques avec laquelle elle vit depuis sa 3ème année de droit n’y changera rien. Après avoir passé avec succès l’examen du barreau, Anne-Alexandrine est embauchée, en 2012, dans un grand cabinet parisien où elle exercera pendant 4 ans avant de s’attaquer à un nouveau challenge : faire rire les gens. Désormais surnommée Double A, Anne-Alexandrine se lance dans l’humour avec un one-woman-show intitulé Spectacle de MalAAde, qu’elle monte avec l’aide de son mari producteur et metteur en scène. Un nouvel obstacle se dresse alors sur sa route : la frilosité des programmateurs face aux sujets qu’elle aborde dans ses sketchs. Qu’à cela ne tienne, Anne-Alexandrine vient de créer son propre comedy club au Mans. « L’un de mes objectifs est de donner plus de visibilité aux femmes humoristes qui sont peu nombreuses dans ce milieu difficile, notamment car elles doivent souvent gérer de front un travail alimentaire et une famille en plus de leur carrière d’humoriste. » Ce qui la porte lorsqu’elle a des doutes - comme tous les artistes précise-t-elle ? Les émotions positives qu’elle partage avec son public et son mari, avec lequel elle projette d’avoir un enfant…

« La maladie m’a fait développer des ressources qui me rendent plus forte »

Charlotte Tourmente, médecin, journaliste et sexologue

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Charlotte Tourmente

Charlotte Tourmente, elle, a toujours voulu être médecin, mais, en 3ème année de médecine, on lui diagnostique une sclérose en plaques (SEP). Après s’être convaincue que la maladie ne changerait rien à sa vie, Charlotte est rattrapée par la réalité des poussées qui lui laissent des séquelles invisibles mais invalidantes. Obligée de renoncer à sa carrière, elle réussit cependant à finir ses études et, après une période de doute, trouve un chemin de traverse épanouissant. Afin de rendre ses ambitions compatibles avec son handicap, Charlotte se forme au journalisme médical. C’est à travers ses articles qu’elle soignera ses patients, via la prévention et l’éducation thérapeutique. Dans la même optique, elle se formera à la sexologie en 2013. En parallèle, Charlotte partage son expérience de la SEP via un blog, puis un livre, Sclérose en plaques et talons aiguilles (3), afin de donner un sens aux expériences traumatisantes qu’elle vit, comme une hémiplégie doublée d'une aphasie. Mais cette organisation a un coût, rappelle Charlotte. « Le fait de travailler à temps partiel et en grande partie en télétravail ferme des portes aussi bien en termes de poste que d’évolution de carrière et a des conséquences financières. » De plus, comme beaucoup de travailleurs à besoins spécifiques, elle a subi des remarques « au mieux maladroites au pire discriminantes. » Pour les surmonter Charlotte explique avoir travaillé sur sa confiance en elle, seule puis lors d’une courte thérapie, et a dû faire appel à une déléguée syndicale pour débloquer une situation particulière. « Aujourd’hui, j’essaye de comprendre les différents points de vue, de sensibiliser à la richesse du handicap et suis très investie dans l’association DareWomen Handicap afin de lutter contre les préjugés en entreprises car ces dernières ont énormément à gagner à être inclusives. »

« Ce n’est pas du courage, je suis juste intolérante à la stagnation ! »

Liliya Reshetnyak, entrepreneure

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Liliya Reshetnyak

Née en Ukraine, les difficultés de Liliya Reshetnyak, commencent à son arrivée en France à l’âge de 15 ans : nouer des relations et s’adapter à un système scolaire rigide ne sont pas évidents pour l’adolescente. Après son bac, Liliya entame une 1ère année de droit, puis de chimie avant d’opter pour une école de commerce dont elle sortira avec un Master spécialité RH en poche. Devenue salariée dans une grande entreprise, Liliya fait bonne figure mais elle subit de fortes baisses d’énergie et peine à persévérer dans une voie qui ne la passionne pas. Finalement, au bout de 4 ans, elle démissionne pour créer sa propre entreprise. En 2016, la plateforme digitale Hipip IN, dont le but est de promouvoir la diversité cognitive en entreprise, voit le jour. « A cette époque je n’avais pas encore été diagnostiquée pour des troubles du spectre autistique de haut niveau mais je me reconnaissais dans les profils de personnes neuroatypiques que j’accompagnais. » En tant que présidente de la société, elle expérimente la misogynie de certains partenaires et réseaux professionnels et travaille sur sa confiance en elle pour se sentir légitime. Aujourd’hui, 3 ans après son diagnostic, Liliya a quitté Hipip IN, mais continue à porter sa vision inclusive du travail à travers des conférences et des missions de consulting. « Je me suis créé un rythme de travail qui me convient en faisant le choix de privilégier la qualité de mon quotidien à mon niveau de vie. L’introspection m’aide à avancer : dans chaque situation je cherche quelle est ma part de responsabilité pour ne pas reproduire les mêmes erreurs ». Toujours à la recherche d’une nouvelle idée, Liliya travaille actuellement à un nouveau projet autour de la nutrition et de la santé.

« Je sais où sont mes limites et là où on n’a pas à m’en imposer »

Sophie Massieu, journaliste

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Sophie Massieu

Ironiquement, c’est au nom de l’égalité des chances que Sophie Massieu, alors étudiante en khâgne (4), ne passera pas le concours de l’Ecole normale supérieure (ENS) : l’Education nationale refusant toute adaptation de l’épreuve de cartographie, au risque de la favoriser, on lui explique qu’un zéro n’est pas éliminatoire. Certes. Mais avec à peine plus de 6 % d’admis, cela compromet sérieusement ses chances de réussir le concours ! Sophie est non-voyante de naissance. Il en ira tout autrement lorsque, après avoir obtenu une Maîtrise d’histoire et un Certificat d’études internationales générales, Sophie se présente au Centre de formation des journalistes en 1998. L’école a accueilli auparavant Julien Prunet, un étudiant non-voyant, et accepte d’aménager les conditions d’entrée. Sophie peut alors suivre les cours en auditeur libre. A 25 ans, elle entre dans le monde professionnel en tant que pigiste mais, plus que son handicap physique, c’est son handicap social, et notamment l’absence de réseau qui la pénalise. Sophie arrive cependant à multiplier les expériences écrites, radiophoniques et télévisuelles, et décroche en 2005 le poste de rédactrice, adjointe puis en chef, du magazine Faire face au sein de l’association APF-France handicap. « Lors de l’entretien d’embauche, je m’inquiétais de savoir comment j’allais choisir les photos de une. Le directeur de la communication d’alors, Yann Beauson, m’a répondu : « Je ne sais pas, on verra bien ». Cette phrase m’a libérée. C’est parce qu’on m’a fait confiance que j’ai pu avoir confiance en moi ». En 2012, Sophie entre dans une société de production pour laquelle elle réalise notamment l’émission Dans tes yeux pour Arte. Avec cette série documentaire de 80 x 26 minutes, Sophie va parcourir le monde pendant deux ans. Aujourd’hui, Sophie est revenue à la presse écrite. « On ne me renvoie plus du tout à mon handicap car les mentalités ont évolué mais aussi parce que j’ai gagné en assurance. Je me suis endurcie, je sais qui je suis, ce dont je suis capable ou non et j’ose demander ce dont j’ai besoin ».

1 :  Source des chiffres et de la citation du paragraphe d’introduction : Femmes, emploi et handicap, état des lieux et perspectives, Agefiph, mars 2022.

2 : Maladie génétique rare entrainant des contractions anormales des muscles.

3 :  Sclérose en plaques et talons aiguilles, First, 2019.

4 : 2ème année de classe préparatoire littéraire.

 

 

Publié le 14 Novembre 2022